dimanche 20 novembre 2011

Attache-moi !

  
Fin juillet, les rues de Paris sont belles sous le soleil, Rose est seule à la terrasse d'un café, elle n'attend personne, et son esprit vagabonde...
   Comme souvent, ses rêves, très modestes au début, commencent à enfler comme une voile de bateau, ils poussent, deviennent prégnants, presque dictateurs. Rose sait que l'un deux prendra le pouvoir, et qu'elle finira par se soumettre: elle sait qu'à ce moment-là, elle mettra tout en oeuvre pour agir sur ce rêve, pour lui donner vie...Pour l'instant elle ne sait pas encore lequel gagnera, alors elle les acceuille tous, les admire, les écoute, leur donne des noms: voici "Belzébuth", ce rêve récurrent et sulfureux où elle s'éprend d'un être mi-homme mi-diable...Cet autre, où elle est couverte de fruits juteux, de crème et de chocolat fondu, et servie en dessert dans une fête, elle décide de le nommer tout simplement "Délices"...Et ce troisième, où deux hommes bien membrés sont à sa disposition toute une nuit, il s'appellera "Maîtresse Rose"...Elle hésite un moment, et conclut après réflexion qu'il faudra au moins trois hommes à Maîtresse Rose !
   Elle connaît bien ces scénarios, et leur effet presque immédiat sur son sexe, mail elle commence à s'enlacer et à trouver que sa vie érotique sombre dans la monotonie !
   Relevant les yeux, Rose voit un homme assis à la table voisine, qui la scrute intensément...Elle aurait bien envie de le relier à l'un de ses rêves...mais il ne peut pas être Belzébuth, car s'il est bien l'homme de son fantasme, il lui manque cet éclat fulgurant du diable...Elle a du mal à l'imaginer en train de lécher son corps enduit de chocolat, et de chercher avec ses dents les fraises qui s'écrasent entre ses cuisses...Alors, il pourrait être l'un des trois hommes de son dernier rêve, s'agenouiller devant elle, lui masser longuement les pieds, remonter doucement le long de la jambe, effleurer le genou, poursuivre sa route...Non décidément, le scénario n'est pas à la hauteur de ce qu'elle pressent, et peut-être qu'aujourd'hui elle va enfin lâcher prise...Elle a maintenant très peur, et malgré cela l'invite à sa table d'un signe de la main. quand l'homme se lève, Rose sent son sexe s'alourdir et mouiller, et se dit que la journée s'annonce bien !
   En prenant place, l'homme lui confie:
- J'aimerais savoir à quoi vous pensiez, car vos yeux étaient si brillants...
   Rose le toise et lui répond fièrement:
- Je pensais à ce que je vais vous dire maintenant: je suis à vous pour trois heures...
   L'homme se tait un moment, la dévisage, regarde ses seins qui pointent sous le corsage, remonte vers ses yeux et déclare:
- La vie est parfois merveilleuse...Il se trouve que j'ai besoin d'une femme pour un moment! Et il me semble que vous pourriez convenir!
   Il s'arrête un moment, observe Rose qui a perdu sa fierté et tente de cacher son trouble, puis il reprend:
- Si vous êtes vraiment à moi pour quelques heures, enlevez votre slip et posez-le sur la table, en signe d'accord.
   Rose sursaute, étonnée, mais elle s'exécute, avec un regard fugitif vers les tables voisines...Elle s'attendait, avec sa proposition, à le mettre en difficulté, mas il semble à l'aise, royal même, et c'est elle qui commence à chavirer! Elle adore cette sensation intérieure de flottement, de légère peur mêlée d'excitation...
   L'homme reprend la parole, avec une voix sourde qui fait vibrer le ventre de Rose:
- Maintenant vous allez m'accompagner dans un restaurant; si vous éprouvez le besoin de me parler, vous m'appellerez Monsieur.
   Rose se dit qu'elle va peut-être perdre trois heures...mais son sens aigu de l'engagement est le plus fort. elle se lève, esquisse un geste vers son slip, mais l'homme l'a déjà saisi et le glisse lentement dans sa poche en la regardant fixement.
  Ils sortent tous les deux et marchent un moment sans parler.Rose un peu gênée, s'interdit toutes les questions qui lui montent aux lèvres..."Quel est votre prénom?", "Où va-t'on?", "Que pensez-vous de moi?" Elle s'applique à montrer un air dégagé, trouvant qu'il est bien prétentieux de se faire appeler Monsieur, et se disant qu'après tout un après-midi perdu dans une vie, ce n'est pas si grave !
   "Monsieur" sait où il va, car il marche d'un pas décidé, en dépassant plusieurs restaurants qu'il ne regarde pas. Il s'arrête devant une porte massive, affichant une plaque discrète que Rose ne parvient pas à déchiffrer. Il a déjà sonné, et la porte s'ouvre sur un lieu sombre mais chaleureux, les murs tendus de velours rouge, des bougies sur les tables, un air de jazz en sourdine. Rose se dit qu'au moins la musique est bonne...Quelques personnes sont là: Monsieur s'approche d'un convive à l'âge respectable, le salue puis l'invite à s'asseoir à sa table, avec rose. il se tourne ensuite vers elle d'un air déterminé et défait un à un les boutons de son corsage, montrant à toute l'assemblée qu'elle n'a pas de soutien-gorge ! Rose vit quelques instants de honte et retrouve enfin la fierté qui la soutient et la rend belle.
   Ce vieux monsieur est adorable avec son bon sourire et ses yeux rieurs. Il est entouré, et tout le monde lui parle avec respect. Rose apprend que c'est un artiste en bondage, qu'il pratique cela depuis fort longtemps, en cachette de ses proches, et qu'il aime se faire appeler Tonton Ficelle. Rose a le coup de foudre pour cet homme modeste et merveilleux; le repas est fort agréable à ses côtés.
   Soudain, il sort de son sac une petite pochette, ajuste ses lunettes, et brandit deux pinces dont il semble fier.
- Je les ai achetées au BHV et il a fallu que je les règle pour qu'elles soient plus douces...
- Est-ce que je peux vous les poser ?
   Rose rougit, heureuse d'être choisie...Elle acquiesce et met un point d'honneur à rester immobile lorsqu'il pose les pinces. Elle se sent très fière, exhibant ses tétons, et regarde Monsieur qui ne fait aucun commentaire mais sourit légèrement.
   La salle s'anime de plus en plus, on entend quelques claquements de fouet, Rose y semble indifférente, car toute son attention est occupée par ces deux hommes, son regard va l'un à l'autre, sa volonté est comme aspirée...La voix grave de Monsieur la fait sursauter; il l'invite simplement l'artiste à continuer son oeuvre...
   Avec un air tranquille, le vieil homme fouille dans un deuxième sac, sort un amas de cordelettes, demande à Rose de se lever, la jauge comme un artisan qui se mesure à un bloc de pierre avant de le tailler, et commence à se mouvoir, tel un danseur. Il s'active, la corde s'enroule, les noeuds se font comme par magie...
Rose prend peur quelques secondes, lorsqu'elle le voit s'approcher, le rouleau de corde à la main; mais très vite, le charme opère, et Rose se sent devenir matière, objet à façonner, objet vénéré par l'artiste, ce qui lui permet de se laisser aller entre ses mains.
   De temps en temps, il se recule comme un sculpteur qui se dégage de son oeuvre pour apprécier et prévoir le noeud suivant...

Extrait de "Pulsions de femmes"

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