dimanche 20 novembre 2011

Attache-moi !

  
Fin juillet, les rues de Paris sont belles sous le soleil, Rose est seule à la terrasse d'un café, elle n'attend personne, et son esprit vagabonde...
   Comme souvent, ses rêves, très modestes au début, commencent à enfler comme une voile de bateau, ils poussent, deviennent prégnants, presque dictateurs. Rose sait que l'un deux prendra le pouvoir, et qu'elle finira par se soumettre: elle sait qu'à ce moment-là, elle mettra tout en oeuvre pour agir sur ce rêve, pour lui donner vie...Pour l'instant elle ne sait pas encore lequel gagnera, alors elle les acceuille tous, les admire, les écoute, leur donne des noms: voici "Belzébuth", ce rêve récurrent et sulfureux où elle s'éprend d'un être mi-homme mi-diable...Cet autre, où elle est couverte de fruits juteux, de crème et de chocolat fondu, et servie en dessert dans une fête, elle décide de le nommer tout simplement "Délices"...Et ce troisième, où deux hommes bien membrés sont à sa disposition toute une nuit, il s'appellera "Maîtresse Rose"...Elle hésite un moment, et conclut après réflexion qu'il faudra au moins trois hommes à Maîtresse Rose !
   Elle connaît bien ces scénarios, et leur effet presque immédiat sur son sexe, mail elle commence à s'enlacer et à trouver que sa vie érotique sombre dans la monotonie !
   Relevant les yeux, Rose voit un homme assis à la table voisine, qui la scrute intensément...Elle aurait bien envie de le relier à l'un de ses rêves...mais il ne peut pas être Belzébuth, car s'il est bien l'homme de son fantasme, il lui manque cet éclat fulgurant du diable...Elle a du mal à l'imaginer en train de lécher son corps enduit de chocolat, et de chercher avec ses dents les fraises qui s'écrasent entre ses cuisses...Alors, il pourrait être l'un des trois hommes de son dernier rêve, s'agenouiller devant elle, lui masser longuement les pieds, remonter doucement le long de la jambe, effleurer le genou, poursuivre sa route...Non décidément, le scénario n'est pas à la hauteur de ce qu'elle pressent, et peut-être qu'aujourd'hui elle va enfin lâcher prise...Elle a maintenant très peur, et malgré cela l'invite à sa table d'un signe de la main. quand l'homme se lève, Rose sent son sexe s'alourdir et mouiller, et se dit que la journée s'annonce bien !
   En prenant place, l'homme lui confie:
- J'aimerais savoir à quoi vous pensiez, car vos yeux étaient si brillants...
   Rose le toise et lui répond fièrement:
- Je pensais à ce que je vais vous dire maintenant: je suis à vous pour trois heures...
   L'homme se tait un moment, la dévisage, regarde ses seins qui pointent sous le corsage, remonte vers ses yeux et déclare:
- La vie est parfois merveilleuse...Il se trouve que j'ai besoin d'une femme pour un moment! Et il me semble que vous pourriez convenir!
   Il s'arrête un moment, observe Rose qui a perdu sa fierté et tente de cacher son trouble, puis il reprend:
- Si vous êtes vraiment à moi pour quelques heures, enlevez votre slip et posez-le sur la table, en signe d'accord.
   Rose sursaute, étonnée, mais elle s'exécute, avec un regard fugitif vers les tables voisines...Elle s'attendait, avec sa proposition, à le mettre en difficulté, mas il semble à l'aise, royal même, et c'est elle qui commence à chavirer! Elle adore cette sensation intérieure de flottement, de légère peur mêlée d'excitation...
   L'homme reprend la parole, avec une voix sourde qui fait vibrer le ventre de Rose:
- Maintenant vous allez m'accompagner dans un restaurant; si vous éprouvez le besoin de me parler, vous m'appellerez Monsieur.
   Rose se dit qu'elle va peut-être perdre trois heures...mais son sens aigu de l'engagement est le plus fort. elle se lève, esquisse un geste vers son slip, mais l'homme l'a déjà saisi et le glisse lentement dans sa poche en la regardant fixement.
  Ils sortent tous les deux et marchent un moment sans parler.Rose un peu gênée, s'interdit toutes les questions qui lui montent aux lèvres..."Quel est votre prénom?", "Où va-t'on?", "Que pensez-vous de moi?" Elle s'applique à montrer un air dégagé, trouvant qu'il est bien prétentieux de se faire appeler Monsieur, et se disant qu'après tout un après-midi perdu dans une vie, ce n'est pas si grave !
   "Monsieur" sait où il va, car il marche d'un pas décidé, en dépassant plusieurs restaurants qu'il ne regarde pas. Il s'arrête devant une porte massive, affichant une plaque discrète que Rose ne parvient pas à déchiffrer. Il a déjà sonné, et la porte s'ouvre sur un lieu sombre mais chaleureux, les murs tendus de velours rouge, des bougies sur les tables, un air de jazz en sourdine. Rose se dit qu'au moins la musique est bonne...Quelques personnes sont là: Monsieur s'approche d'un convive à l'âge respectable, le salue puis l'invite à s'asseoir à sa table, avec rose. il se tourne ensuite vers elle d'un air déterminé et défait un à un les boutons de son corsage, montrant à toute l'assemblée qu'elle n'a pas de soutien-gorge ! Rose vit quelques instants de honte et retrouve enfin la fierté qui la soutient et la rend belle.
   Ce vieux monsieur est adorable avec son bon sourire et ses yeux rieurs. Il est entouré, et tout le monde lui parle avec respect. Rose apprend que c'est un artiste en bondage, qu'il pratique cela depuis fort longtemps, en cachette de ses proches, et qu'il aime se faire appeler Tonton Ficelle. Rose a le coup de foudre pour cet homme modeste et merveilleux; le repas est fort agréable à ses côtés.
   Soudain, il sort de son sac une petite pochette, ajuste ses lunettes, et brandit deux pinces dont il semble fier.
- Je les ai achetées au BHV et il a fallu que je les règle pour qu'elles soient plus douces...
- Est-ce que je peux vous les poser ?
   Rose rougit, heureuse d'être choisie...Elle acquiesce et met un point d'honneur à rester immobile lorsqu'il pose les pinces. Elle se sent très fière, exhibant ses tétons, et regarde Monsieur qui ne fait aucun commentaire mais sourit légèrement.
   La salle s'anime de plus en plus, on entend quelques claquements de fouet, Rose y semble indifférente, car toute son attention est occupée par ces deux hommes, son regard va l'un à l'autre, sa volonté est comme aspirée...La voix grave de Monsieur la fait sursauter; il l'invite simplement l'artiste à continuer son oeuvre...
   Avec un air tranquille, le vieil homme fouille dans un deuxième sac, sort un amas de cordelettes, demande à Rose de se lever, la jauge comme un artisan qui se mesure à un bloc de pierre avant de le tailler, et commence à se mouvoir, tel un danseur. Il s'active, la corde s'enroule, les noeuds se font comme par magie...
Rose prend peur quelques secondes, lorsqu'elle le voit s'approcher, le rouleau de corde à la main; mais très vite, le charme opère, et Rose se sent devenir matière, objet à façonner, objet vénéré par l'artiste, ce qui lui permet de se laisser aller entre ses mains.
   De temps en temps, il se recule comme un sculpteur qui se dégage de son oeuvre pour apprécier et prévoir le noeud suivant...

Extrait de "Pulsions de femmes"

dimanche 4 septembre 2011

Catherine ou le cadeau d'anniversaire


"Ils étaient mariés depuis vingt-cinq ans...Vingt-cinq ans aujourd'hui. un quart de siècle !
Et elle avait cinquante ans ce même jour.
C'est Simon qui avait tenu à l'épouser le jour de son anniversaire.
C'est qu'il était incroyablement romantique, quand elle l'avait rencontré. Elle avait littéralement fondu pour ce jeune homme timide au regard bleu délavé, et ils avaient très rapidement uni leurs naïvetés.
La vie s'était chargée de les endurcir.
Oh ! elle n'avait pas été plus difficile que celle de tout un chacun. Voire même plus douce puisqu'elle n'avait jamais réussi à les séparer, mais ça n'avait pas toujours été facile.
Ils avaient commencé avec peu de choses, pour ne pas dire rien. les enfants étaient arrivés très vite. D'abord Aurélie, puis les jumeaux. Ils avaient bossé comme des dingues toute leur vie. Ils pouvaient être fiers d'eux. Aurélie finissait ses études de médecine à Montpellier. quant aux jumeaux, ils étaient entrés tous les deux dans l'armée, l'année dernière. inséparables, ils voulaient être pilotes depuis leur plus jeune âge et ils étaient en passe d'y parvenir.

Aujourd'hui, la maison était payée. Un peu vide, sans les enfants, mais ils recevaient beaucoup. Ils n'avaient plus qu'un petit crédit sur l'appartement de vars. dans dix ans, elle prendrait sa retraite. elle serait certainement grand-mère d'ici là.
Grand-mère...C lui filait un coup. Mais elle avait encore le temps d'y penser.
Non vraiment, tout allait bien. Seule ombre au tableau, Simon voyageait encore beaucoup pour son travail. Et Catherine se retrouvait souvent seule. A l'époque où les enfants vivaient encore sous leur toit, cela ne la dérangeait pas, mais, maintenant, ses absences lui pesaient de plus en plus.
Aujourd'hui il était à Madrid.
C'était la première fois qu'il n'était pas là pour son anniversaire; D'habitude, il l'invitait au restaurant et lui offrait deux cadeaux. un pour son anniversaire et l'autre pour leur anniversaire de mariage. en rentrant, ils faisaient l'amour en essayant d'oublier l'outrage des années qui passent.
Au début de leur histoire, leurs relations physiques étaient passionnées. Et puis, avec les enfants, il avait fallu apprendre à faire l'amour en silence, dans le noir, après minuit.
Ils avaient été si souvent interrompus par les visites nocturnes de petits gnomes harcelés de maux de ventre ou de cauchemars peuplés de montres et de fantômes que leurs rapports avaient fini par s'en ressentir. Les années passant, ils avaient découvert ensemble l'angoisse des nuits blanches pendant lesquelles, le regard fixé sur le réveil, ils guettaient, inquiets, le bruit rassurant d'une clé dans la serrure, annonciateur du retour au nid d'adolescents ayant réussi à surmonter tous les dangers des soirées étudiantes.

Et maintenant qu'ils étaient à nouveau tranquilles, aucun d'entre eux n'osait rappeler à l'autre toutes leurs folies d'antan.
Catherine était encore très jolie, mais son corps avait été marqué par les grossesses et elle se trouvait ridicule en lingerie fine. Simon, quant à lui, ne semblait plus aussi fougueux que dans sa jeunesse, et elle ne voulait pas qu'il la prenne pour une vieille perverse. Elle avait presque honte d'avoir encore des fantasmes.
En la quittant, la veille, il lui avait demandé:
- Qu'est-ce que tu veux pour ton anniversaire ?
Un gigolo ou un godemiché ?
- Les deux, mon commandant, lui avait-elle répondu en riant.

Elle buvait un café dans la cuisine, bercée par ses pensées nostalgiques, quand on sonna à la porte d'entrée.
Elle se leva pour aller ouvrir. Quel que soit le visiteur, il était le bienvenu. Il l'obligeait à se secouer et à reprendre le cours de la vie en chassant la mélancolie qui planait dans la pièce.
Un grand Black, jeune, coiffé de dreadlocks, se tenait dans l'embrasure de la porte, un paquet cadeau dans les mains.
- Oui ?
- Madame Lefevre ?
- C'est moi.
Il lui tendit le paquet.
- De la part de votre mari.
- Merci, je signe quelque part ?
- Non, y a rien à signer.
Elle prit le paquet et referma la porte, impatiente de découvrir ce que Simon avait bien pu choisir de lui offrir. Il avait toujours es idées originales.
Elle ouvrit le paquet et y découvrit un énorme godemiché. Elle éclata de rire, un peu gênée et dit à haute voix: " Tu n'as quand même pas fait ça ?"
On re-sonna à la porte. Elle posa l'objet et son emballage sur la table et retourna ouvrir. Le grand Black était toujours là. elle laissa la porte entrebâillée car elle ne souhaitait pas qu'il aperçoive le contenu du paquet cadeau.
- Vous avez oublié quelque chose ?
- Non, c'est vous qui avez oublié quelque chose.
- Quoi ?
En effet, elle ne lui avait pas donné de pourboire, mais elle trouvait sa façon de réclamer assez cavalière.
- Moi !
- Ne bougez pas, je vais chercher de la monnaie.
- Non, je ne veux pas parler d'argent. Je parle de moi. Je suis la deuxième partie du cadeau.
- Pardon ?
Il entra et désigna l'olisbos qui trônait sur la table.
- Votre mari m'a payé pour que je vous explique comment utiliser cet objet.
- Vous plaisantez ?
Le téléphone sonna. En décrochant, elle reconnut immédiatement la voix de Simon.
- Bon anniversaire, chérie, mes cadeaux sont arrivés ?
- Parlons en de tes cadeaux...Est ce que tu es fou ?
- Oui, de toi !
- Enfin, je ne peux pas...Je ne veux pas...
- Laisse-toi faire, il a des consignes précises et il n'est là que pour te faire du bien.
Et il raccrocha.
Totalement déroutée, elle resta interdite, le téléphone dans la main. Elle se sentait déjà assez ridicule avec ce truc obscène au milieu de la pièce, mais devant cet Apollon des îles, elle ne savait plus quelle attitude adopter.
C'est vrai qu'il était très beau et qu'il avait l'air gentil.
- Vous me montrer votre chambre ?
- C'est hors de question !
- Vous préférez qu'on reste là ?
- Écoutez monsieur, je vous remercie mais vraiment, je ne pourrai pas. Je n'ai pas besoin de vos services. Rentrez chez vous, mon mari vous réglera la somme convenue et ...
- Il ne l'écoutait plus. Il s'empara du phallus de plastique et se dirigea vers l'étage.
- Mais si, vous allez voir ! C'est par là ?
Il gravit les marches avec la grâce d'un félin, sans écouter ses protestations.

Tout en notant qu'il avait des fesses magnifiques, moulées dans son jean délavé, elle s'interrogea sur la conduite à tenir. Elle ne pouvait tout de même pas appeler la police. Que leur dirait-elle ? Qu'elle n'arrivait pas à virer le gigolo que son mari avait payé pour elle ? Cela paraissait difficile à expliquer. Non, il fallait qu'elle arrive à le convaincre de partir. Gentiment, mais fermement.
Elle monta à l'étage et entra dans sa chambre. Il était déjà allongé nu, sur le lit, le godemiché posé sur son ventre.
Mon Dieu, qu'il était beau ! Ses jambes étaient longues et musclées, son torse était dessiné, tous les muscles étaient apparents. Et son sourire. Une gueule d'ange auréolée de dizaines de petites tresses qui retombaient en cascade sur son front. elle aurait adoré passer ses doigts dans sa tignasse.
- Il faut que vous partiez.
- Venez !
- Vraiment c'est impossible.
- Je ne vous plaît pas ?
- Ça n'a rien à voir avec vous. Je n'ai jamais trompé mon mari !
- Mais vous ne le trompez pas puisqu'il est au courant !
Effectivement, vu sous cet angle...Elle s'assit sur le lit.
- Soyez raisonnable. Je pourrais être votre mère. Il éclata de rire.
- Vous êtes sûre que vous avez bien remarqué ma couleur de peau ? Les probabilités pour que vous soyez ma mère sont extrêmement minces !
- Ce n'est pas ce que je voulais dire !
Pendant qu'elle se débattait avec des arguments auxquels elle ne croyait déjà plus elle-même, il commença à déboutonner son corsage. Sa respiration s'accéléra. ces doigts nerveux qui couraient sur sa peau mettaient le feu à ses sens.
- Ça suffit !
Il étouffa sa dernière protestation en bâillonnant sa bouche d'un baiser torride, et elle sentit ses dernières réticences fondre comme neige au soleil.
Il l'allongea sur le lit et la dévêtit entièrement.
Elle essaya de se recouvrir du plaid qui était au pied du lit. Sa propre nudité la gênait. elle n'assumait pas son corps vieillissant, livré au regard de ce jeune Adonis d'ébène.
Il jeta le plaid sur le sol et commença à la caresser. Il y avait de la bestialité dans ses gestes. malgré sa maîtrise parfaite, il était assez brusque, et elle n'aurait pas été étonnée de l'entendre rugir. Il lui écarta les cuisses et, d'un coup de langue, humidifia son intimité. geste qu'elle apprécia mais bien inutile, elle se sentait dégouliner de désir. Il attrapa le godemiché, il était vraiment énorme, et l'actionna. l'appareil se mit à vibrer dans un petit ronronnement discret.
Tout d'abord, il lui appliqua sur la pointe des seins et joua un moment à les faire durcir au contact du latex. Il le promena sur tout son corps en évitant soigneusement le centre de son envie. Il excitait, avec un e vraie technique de professionnel, toutes les zones érogènes de Catherine et les hommes qui connaissent bien les femmes savent à quel point elles sont nombreuses.
En très peu de temps, il réussit à mettre le feu à ses sens. Elle se tordait et ondulait de plaisir pour lui permettre d'atteindre chacune de ses cibles. elle roulait sur elle-même pour offrir reins et fesses à la caresse de l'ersatz de membre masculin qui devenait vivant dans les mains de son dompteur. La tension montait inexorablement dans son ventre, et elle commença à attendre comme une délivrance l'instant où l'objet de plastique viendrait enfin fouiller ses entrailles et la délivrer de la bête qui mordait cruellement son intimité la plus enfouie, la plus secrète.
Quand elle n'en put plus, elle le supplia de la libérer de cette insoutenable tension. Sans hésiter, il lui enfonça l'objet d'un geste brutal dans le ventre.
Elle cria de surprise et de douleur. Le phallus de plastique était très gros, trop gros. Elle se sentait écartelée, déchirée, mais très rapidement, son sexe s'habitua aux proportions exagérées de l'artifice et elle se laissa conduire par la main experte de son amant par procuration qui lui imposait un rythme de plus en plus rapide. Il augment la puissance des vibrations de l'objet jusqu'à le pousser au maximum, et elle crut être arrivée au paroxysme du plaisir. elle se cabrait et feulait son désir.
Elle sentit le plaisir monter en elle comme la lave d'un volcan et elle jouit si violemment qu'elle l'expulsa de son ventre.
Pendant un long moment, elle fut..."

Extrait de : "Onze nouvelles à lire seule les matchs de foot..."

lundi 15 août 2011

Eve ou Les Pinceaux


" Ernesto est artiste-peintre et professeur d'arts plastiques à la faculté des beaux-arts.
  Tous les mercredis après midi, il donne un cours de deux heures aux étudiants de troisième année, sur le nu. A chaque séance, un modèle vient poser. Homme ou femme, jeune ou vieux, beau ou laid, tous sont motif à apprendre.
  Ces jours-là, on surchauffe la salle pour que le modèle supporte les deux longues heures de pose immobile. Surtout à cette saison où l'on aperçoit par la fenêtre les toits blancs de neige...
  Depuis quinze ans qu'il anime ce cours, Ernesto ne se laisse plus surprendre, il prévoit toujours une chemise de coton léger, alors que ces étourdis d'étudiants transpirent à grosses gouttes dans leur pulls en laine et leurs dessous Thermolactyl.
  Quand une étudiante est jolie, il attend, à son corps défendant, le moment où, n'y tenant plus, elle retire sa polaire et laisse apparaître sous son tee-shirt moite de transpiration ses formes attendrissantes d'ex-adolescente pas encore tout à fait femme...Il admire, puis s'en veut: "Ernesto, arrête un peu, elles ont l'âge de ta propre fille..."
  Ce qui n'est pas tout à fait exact. Manuela, sa fille, aura seize ans le mois prochain, alors que ses élèves de troisième année ont une vingtaine d'année, mais les imaginer discuter et plaisanter avec Manuela reste le meilleur rempart au libre cours de ses fantasmes.
  Ernesto aime les femmes. Il les a toujours aimées.
  A vingt ans, il a cru qu'il aimait une femme et l'a épousée, mais très vite, il a compris qu'il aimait toutes les femmes ou plutôt qu'il aimait la femme avec un grand F.
  Au fil du temps, de liaison en liaison, il a réussi à préserver son mariage et son petit confort domestique auquel il est finalement très attaché. Aujourd'hui, l'âge l'ayant rendu moins audacieux, il se contente la plupart du temps de fantasmer sur la boulangère, la fleuriste, sur une inconnue croisée dans la rue ou tout simplement sur la nuée de jeunes femmes qui peuplent le quotidien de ses cours...
  Son art, c'est la peinture, alors comme d'autres écrivent leurs fantasmes, lui, il les peints. Il ne peint pas des scènes d'orgies ou des accouplements monstrueux, non, lui, il dessine, ébauche, croque, peint, repeint le corps de la femme.
  C'est toujours la même silhouette imaginaire qui hante ses oeuvres, la perfection au féminin conçue par son cerveau d'artiste. Il la dessine les yeux fermés, sans modèle car il sait qu'une telle perfection ne peut exister en chair et en os.
  Ce corps qui envahit son art, s'il le voyait, il le reconnaîtrait entre mille. Son visage change au rythme de ses rencontres, ses cheveux peuvent être bruns, blonds ou roux. Son sourire, ses yeux ressemblent bien souvent à ceux de la dernière femme de chair qui l'a ému...Mais ce corps, ce corps parfait, il ne l'a jamais vu, c'est celui de la première femme de l'humanité, celui d'Eve...
  L'année dernière, l'exposition de ses nus a encore remporté un succès international. Il est connu, riche et pourrait arrêter d'enseigner mais il sait que c'est le contact avec ses étudiants qui lui procure sa vitalité et sa force créative...

  Il arrive toujours en avance pour son cours.
  Il est dans sa classe depuis plus d'une heure quand les premiers élèves entrent dans la salle. chacun s'installe. Le modèle arrive. aujourd'hui, c'est une femme. Elle vient saluer le maître.
  Elle doit avoir entre trente cinq et quarante cinq ans. Son visage est très régulier, ses yeux sont vifs et intelligents, son front large, sa boche pulpeuse et bien dessinée. beau modèle. Ernesto rend un hommage silencieux à sa plastique avant d'en revenir à sa seule véritable préoccupation, son cours.
  Étrangement, il n'a jamais fantasmé sur les modèles...Il ne les voit pas comme des êtres humains. Il les dépersonnalise. Ce sont des accessoires, des supports comme le seraient un bouquet de fleurs ou une coupe de fruits. Le nu est le thème de son cours, le modèle est un matériau pédagogique.

  Il désigne à la jeune femme le paravent derrière lequel elle peut se dévêtir et lui explique rapidement la pose qu'il attend d'elle. Aujourd'hui, ils vont travailler sur la cambrure et les fesses. Elle se tiendra donc debout sur l'estrade, de dos, les mains dans ses cheveux, comme si elle se faisait un chignon, pour avoir une attitude naturelle. elle prend la pose pour lui montrer qu'elle a compris. Il acquiesce, et elle se dirige vers le paravent.

  Les élèves prennent place. Assis sur le bord de son bureau, face à eux, il commence son exposé, expliquant les tenants et les aboutissements de ce cours. Il sait que la jeune femme a pris place sur l'estrade parce que certains élèves commencent à crayonner tout en l'écoutant. Il se retourne pour vérifier que la pose correspond à ce qu'il souhaite...
  Un éclair de 100 000 volts le foudroie. Il ne finira jamais la phrase qu'il a entamée. Il reste interdit, les yeux rivés sur les courbes offertes.
  Un silence gêné s'installe dans la salle de cours, bientôt suivi d'un certain brouhaha. Une voix l'interpelle:
- M'sieur ? Ça va ?
  Il ne répond pas, abasourdi par cette chute de reins, par ce grain de peau, ces bras, ce cou offert, ces jambes sans fin délicatement rattachées à des chevilles si fines, si fragiles qu'on peut à peine imaginer que cette perfection d'harmonie, de symétrie et d'équilibre puisse se mouvoir sans se briser...
  Des rires étouffés fusent. La classe commence à s'agiter franchement. Il essaie de reprendre, tousse pour s'éclaircir la voix et cherche à retrouver le fil de sa pensée...


Eve.
  Son coeur bat, ses mains sont moites...Plongé dans ses pensées, il est sidéré de voir ses élèves ranger leurs affaires...Il regarde sa montre, les deux heures se sont déjà écoulées. L'inconnue est restée immobile pendant toute la séance. Une statue parfaite. Elle n'a pas réclamé une seule pause pour se détendre.
  Elle bouge enfin, lentement, comme si la vie réintégrait peu à peu son corps et, dans un mouvement félin, elle se dirige très naturellement vers le paravent. Il entraperçoit son buste. Ses seins sont, eux aussi, indescriptibles d'harmonie.

  Les élèves quittent la salle dans un doux chahut. Quand elle réapparaît, la salle est vide.
  Mon Dieu, elle lui parle...Il se concentre pour comprendre: que lui a-t'-elle dit ? Sa rémunération ? Il cherche ses mot et arrive à bredouiller qu'elle doit s'adresser au secrétariat. Soudain, il réalise que s'il ne réagit pas dans l'instant, la seule femme qui ait réussi à le bouleverser dans sa longue vie de spécialiste de l'esthétique humaine va disparaître à jamais de son univers...
  Il la hèle avant qu'elle ne tourne à l'angle de la porte.
- Mademoiselle...
  Elle se retourne et corrige:
- Madame.
- Excusez-moi, Madame, accepteriez-vous de poser pour moi ? Pour moi seul ?
  Elle marque une pause avant de répondre:
- Je devrais être flattée, Professeur, qu'un peintre de votre renom souhaite me peindre...C'est une façon de passer à la postérité...Mais pour vous dire la vérité, je ne pose que parce que j'ai besoin d'argent. Je n'ai pas de travail, deux enfants à nourrir, et mon mari ne me verse plus de pension alimentaire depuis longtemps. Donc, je n'ai pas le choix et j'accepte votre proposition à la condition que vous me payiez plus cher que le tarif horaire de la faculté. Vous avez les moyens et moi pas.
  Sans hésiter, il répond:
- Le double, cela vous conviendrait-il ?
- Très bien, monsieur. C'est d'accord. Quand ?
- Maintenant, vous pouvez ? Je n'ai pas d'autres cours cet après-midi, et la salle est libre jusqu'à 18 heures.
- Payables d'avance.
  Il fouille fébrilement dans sa sacoche et rédige un chèque, incluant un pourboire très généreux. Elle l'empoche sans commentaire et retourne derrière le paravent.
  Quand elle ressort, totalement dévêtue, elle lui fait face avec beaucoup de naturel et sans fausse pudeur, beaucoup plus à l'aise que lui qui transpire à grosses gouttes dans sa chemise en coton.
  Elle lui demande:
- Quelle pose souhaitez-vous que je prenne ?
  Il lui faut fournir un immense effort pour répondre de façon détachée, pour masquer son trouble.
- Je vais faire plusieurs croquis, dans des positions différentes, et seulement ensuite je choisirai la meilleure façon de vous immortaliser.
  Il sort un gros cube de bois, le place sur l'estrade:
- Asseyez-vous là-dessus, croisez les jambes, mettez les mains à plat sur le cube, derrière vos fesses et rejetez la tête en arrière...
  Elle s'exécute, comprenant immédiatement ce qu'il attend d'elle. La position lui bombe le torse et projette en avant ses seins lourds comme ceux d'une femme, mais ronds et pleins comme ceux d'une jeune fille qui n'a pas encore eu d'enfant...Sa gorge est sublime et son ventre parfaitement plat. Il ne voit pas sa toison et , tout à l'heure, il n'a pas osé la regarder franchement, mais il l'a devine noire, dense et parfaitement dessinée, avec des contours nets. Il l'imagine parfumée et soyeuse et doit se maîtriser pour contrôler l'érection qui déforme son pantalon.
"Reprends-toi, Ernesto, tu es un artiste, et c'est un modèle...Tu es un professionnel...Concentres-toi, respire à fond, calme-toi..."
  A l'aide d'un fusain, il commence à crayonner nerveusement. Ses mains tremblent et les premiers traits sont hésitants. Puis, pris par le phénomène de la création, par la perfection de son modèle, il se met à travailler énergiquement, oubliant même son état d'excitation totale et la protubérance qui boursoufle son pantalon. Son érection ne le gêne plus, au contraire, elle devient la source de son inspiration...Il multiplie les croquis et ne sait plus si c'est la femme de fusain ou celle de chair qui fait battre son coeur, qui durcit son sexe de façon délicieusement douloureuse, qui déclenche ces pulsions animales qu'il n'a plus ressenties depuis si longtemps. D'ailleurs, les a-t'-il jamais ressenties ?
  Il crayonne à toute allure, noircissant des dizaines de pages. Une idée l'obsède. Il veut peindre son intimité...Il a besoin de voir l'origine du monde, comme le fit Courbet quelques siècles avant lui. Comment le lui demander ? Il en est encore à se poser la question lorsqu'il s'entend prononcer:
- Accepteriez-vous de poser jambes écartées ?
  Jamais encore il n'a exigé cela d'un modèle. Il est sûr qu'elle va refuser. Aucun modèle n'accepterait de faire cela.
  Sans répondre elle écarte les jambes, livrant à son regard le plus intime de sa chair. Il n'a jamais rien vu d'aussi beau. Il entrevoit les lèvres roses. Elles sont charnues, et il se prend à rêver de les écarter pour contempler l'essence même de la femme, son centre, son milieu, sa vérité...Que ne donnerait-il pas pour pouvoir peindre son clitoris. Il se racle la gorge avant de murmurer d'une voix mal assurée et à peine audible:
- Pouvez-vous encore plus ?
  Sans la moindre hésitation, elle écarte ses lèvres à l'aide de sa main droite. La tête en arrière, elle ne le regarde pas, il la sent lointaine, totalement détachée de la scène, indifférente à l'émoi qu'il ressent. Jamais dans sa vie il n'avait eu besoin de fournir un tel effort de concentration. Il lui faut dessiner alors qu'il n'a qu'une envie, se jeter sur ce corps parfait, sur cette femme écartelée mais qui s'ouvre sans s'offrir, sur cette femme qui lui prête son image, ses formes sans lui accorder une once d'intérêt...
"Ernesto, reprends-toi, respire profondément, calme-toi..."
  Il finit le croquis entamé et bredouille.
- On va faire une pause...Vous voulez un café ?
- Je préfererais que vous continuiez...Mes enfants m'attendent chez une amie, je ne veux pas rentrer tard...
  Sa voix est si neutre, si lointaine...Cela devrait calmer Ernesto, le recentrer sur son travail, mais au contraire le peintre est stimulé par cette indifférence et l'homme rêve de faire ployer ce corps sous le plaisir...
- Bon, et bien alors, il ne me reste plus que les essais couleur à faire et je vous libère aujourd'hui.
- Je vous remercie...
  Les mains tremblantes, il s'empare de sa boîte de peinture et de sa palette et commence à mélanger les couleurs pour obtenir la teinte de sa peau. Comment la définir ? Comment rendre ce nacré ? Ses mélanges ne lui conviennent pas...Il se trouve aussi gauche qu'un étudiant de première année; Excédé, il s'approche d'elle, palette et pinceau en main, et présente ses essais de couleur le long du corps de la jeune femme, pour comparer...Dieu qu'elle sent bon...Comment ne pas la toucher ? Mais s'il la touche, il va faire un arrêt cardiaque...Il se concentre sur ses pigments, compare, rajoute du blanc, du beige, recommence, tâtonne, jure...Non vraiment cela ne convient pas...Il s'énerve.
  Elle le regarde droit dans les yeux...
- Essayez directement sur la peau...
  Cette phrase, prononcée sans émotion, provoque chez l'homme une fêlure. Il sait qu'il est maintenant passé de l'autre coté du miroir et qu'il ne contrôle plus la situation. Le dérapage est inéluctable.

  Il lève son pinceau et, doucement, l'applique sur le cou du modèle...Elle frissonne. le contact froid de la peinture ? Ce frisson sera sa seule réaction. Il poursuit son mouvement, laisssant sur le corps de la dame un large trait de gouache...Il descend jusqu'à la pointe de ses seins et les chatouille doucement, ils se dressent instantanément et la respiration de la jeune femme s'accèlère."

Extrait de Onze nouvelles à lire seule les soirs de match de foot...

samedi 23 juillet 2011

Aimée ou Le livreur de Sushis


"- Essaie encore !
- Je te dis que c'est occupé...
- Recommence !
- Tu m'emmerdes ! Ça fait dix fois que j'appelle, tu n'as qu'à appeler, toi...
- Ok passe-moi le téléphone...
- Et si, pour une fois, on commandait autre chose ?
- Autre chose qu'une pizza royale ? Tu préfères une "quatre fromages" ?
- Non, autre chose qu'une pizza !
- M'enfin mon coeur, tu adores la pizza, d'habitude ! Tu vas voir, le porno que j'ai loué va te plaire...j'en suis sûr ! On va passer une super-soirée...Comme samedi dernier...
- Oui, comme samedi dernier, et le samedi d'avant, et encore de lui d'avant...On pourrait pas changer un peu de programme ?
- Enfin, M'amour, ça va pas ? T'es fatiguée ? Tu vas pas me dire que tu as mal à la tête ? J'ai tellement envie de toi...Il avait si malheureux qu'elle n'osa pas se lancer dans la grande tirade qu'elle préparait depuis des jours. Pourtant elle était bien décidée à lui dire enfin la vérité. elle ne pouvait plus continuer comme ça.

 Elle l'aimait, son Stéphane. Depuis sept ans qu'ils vivaient ensemble, elle n'avait jamais regretté de l'avoir épousé.
 Il était gentil, doux, attentionné, tendre, toujours prêt à lui faire plaisir. Il ne traînait pas au bureau, n'allait pas au bar, ne jouait pas au foot, ne draguait pas ses collègues et ne lui avait jamais reproché d'être stérile.
 Leurs amis les considéraient comme un couple idéal, et c'est vrai qu'aucune dispute n'avait jamais assombri le ciel bleu de leur vie. pas un nuage, pas un orage et c'était vrai qu'elle était jolie.
Lui aussi était séduisant lorsqu'ils s'étaient rencontrés. mais au fil des années, il avait perdu ses cheveux et les bons petits plats aidant, il s'était empâté...
Cela ne la dérangeait pas. elle l'aimait. Mais elle s'ennuyait.
 Il était réglé comme du papier à musique: la semaine, debout 7 heures, départ à huit. Retour à la maison à 18 heures. Balade du chien. Dîner, infos, film et dodo.
 Le vendredi soir, ils dînaient avec Fred et Isa, leurs amis de toujours. Chez l'un ou l'autre des deux couples mais jamais au restaurant.
 Le samedi, courses au supermarché, un petit tour dans la galerie commerciale, déjeuner puis ménage à fond et lustrage de la voiture, comptes et paperasses administratives. Dîner plateau devant les programmes de Drucker. Au lit dès la fin du générique pour accomplissement du devoir conjugal, vite fait, bien fait. et dodo.
 Le dimanche, Stéphane se levait pour aller chercher les journaux et les croissants et lui apportait le petit déjeuner au lit, puis elle faisait une heure de repassage pendant qu'il bricolait, avant d'aller déjeuner chez leurs parents, un week-end chez ceux d'Aimée, un week-end chez ceux de Stéphane.
Balade main dans la main, avec le chien. Toujours le même itinéraire. Ils rentraient à la maison. Il lui faisait couler un bain mais quittait la pièce avant qu'elle ne se déshabille. Pendant qu'elle se relaxait dans l'eau en lisant des magazines féminins où on lui expliquait toutes les subtilités de l'orgasme, il dévorait Auto-moto, sur le canapé du salon.
 Sortie du bain, elle cuisinait et congelait les plats pour la semaine que Stéphane étiquetait avec précaution: Lundi, rôti de porc-coquillettes, mardi,escalopes-jardinière de légumes, mercredi, endives au jambon et ainsi de suite. Comme il rentrait avant elle du travail, il savait ce qu'il devait décongeler pour le dîner. Quand elle arrivait, tout était prêt.
 Il n'oubliait jamais un anniversaire ni une fête et lui offrait un bouquet de roses jaunes (toujours jaunes parce qu'elle avait eu l'étourderie de dire un jour qu'elles étaient ses préférées), tous les sept du mois, parce qu'ils s'étaient rencontrés un sept!
 Leur petit appartement était très confortable.
 Ils passaient une semaine à Tignes en hiver. toujours la même période, toujours le même hôtel, toujours la même chambre.
 En été, ils partaient quinze jours à la campagne, dans la famille de Stéphane, et quinze jours dans la belle villa de Porto-Vecchio que leur prêtait gentiment le patron d'Aimée.
 Elle avait un bon métier. Elle était la secrétaire particulière du PDG d'une PME qui fabriquait les bouteilles en plastique. C'était un monsieur d'un certain âge, très gentil et avec lequel elle aimait travailler.

 Une vie parfaite...Mais qu'est-ce-qu'elle s'emmerdait !
 Personne n'aurait compris qu'elle se plaigne. elle avait tout pour être heureuse.
 Et puis, à qui se serait-elle confiée ? Dans son entreprise, elle était la seule femme. Elle n'avait pas d'amie, mise à part Isa. Or Isa était bien la dernière personne à qui Aimée aurait ouvert son coeur. Elle n'aurait pas compris. Fred, copain d'enfance de Stéphane, était très dur avec elle. Supporter de l'OM et coureur de jupons à ses heures, il l'avait même violentée à deux reprises. Elle ne partait pas à cause des enfants et enviait le bonheur de son amie. Elle aurait donné n'importe quoi pour échanger sa place contre celle d'Aimée.

 Aimée avait essayé de parler à Stéphane, un peu plus de deux ans auparavant. elle lui avait expliqué qu'elle voulait rompre la monotonie de leur vie.
 Comme tout était mêlé dans sa tête, elle avait tenté de lui faire comprendre son ennui, tant sexuel que général. Elle l'avait supplié de mettre du piment dans leur vie.
 Stéphane avait pris les demandes d'Aimée très à coeur. il l'avait inscrite à un cours de danse africaine le mercredi soir et il avait pris un abonnement dans un vidéo-club pour y louer des films porno.


 Il faut dire qu'à part une ou deux nouvelles positions, rien n'avait changé. Stéphane la caressait maladroitement, lui faisant plus mal qu'autre chose, et jouissait trois minutes après la pénétration. Il pensait lui apporter tant de plaisir qu'elle n'osait rien lui dire.
 En fait, ce qui la désespérait, ce n'était pas ce désert sexuel. Peu-être était-ce sa faute, peut-être était-elle frigide. Non, ce qu'elle ne supportait plus, c'était la régularité de leur vie. elle avait envie de tout casser mais elle n'osait pas.

- Et si on se faisait livrer des sushis ?
- Des quoi ?
- Des sushis!
 En réalité, elle ne savait pas vraiment ce qu'étaient des sushis mais elle en commandait fréquemment pour son patron, quand ce dernier restait au bureau entre midi et deux pour boucler un dossier. et elle avait lu, toujours dans ces chers magazines, que ces préparations japonaises à base de poisson cru étaient délicieuses et très en vogue dans les milieux branchés.
- Oh! ça y est. Ça décroche, M'amour. Allô?...Oui, bonjour, c'est monsieur Lefevre... Oui, s'il vous plaît...Une grande "Royale", comme d'habitude...Vingt minutes?...Super! Merci...Bonne soirée !
 Raté pour les sushis. Raté pour le changement, raté encore une fois...
 Elle s'assit à côté de lui, résignée à regarder, sur leur Home Cinéma dernier cri, de mauvais acteurs pénétrer des actrices aux seins siliconés qui hurleraient pour simuler sans conviction un orgasme hypothétique en lançant à l'attention du téléspectateur des oeillades salaces et vulgaires prétendument torrides. La caméra montrerait en gros plan les traces d'un plaisir feint et , ce soir encore, elle s'endormirait frustrée, à côté du corps flasque de l'homme qu'elle aimait mais qui ne lui apportait aucun plaisir...

 Le téléphone sonna. Qui pouvait bien appeler à cette heure ?
 Stéphane décrocha et après un rapide "Bonsoir, monsieur", lui tendit l'appareil.
- M'amour, c'est pour toi. C'est ton patron.
Son patron ? En sept ans, il ne l'avait jamais appelée à la maison.
- Madame Lefevre, je suis confus de vous déranger un samedi soir. J'ai un gros problème. Le dossier pour la société Durand, vous voyez ?
 Oh oui ! Elle voyait bien...Ils y avaient travaillé des heures. C'était un contrat très important pour l'entreprise. Son patron avait rendez-vous avec le client lundi matin à la première heure, et ils avaient fini vendredi soir sur les chapeaux de roues pour boucler la présentation.
- Oui, monsieur ?
- Eh bien, aujourd'hui, en refaisant des calculs, je me suis rendu compte qu'un des tableaux était faux. Je suis venu au bureau pour le modifier et le réimprimer. j'ai utilisé votre ordinateur. je n'aurais jamais dû.
Vous savez que je ne suis pas très à l'aise avec ces maudites machines. j'ai fait une mauvaise manipulation. J'ai effacé la totalité du dossier...
- Oh, merde ! Heu, pardon...
- Non, vous avez raison, c'est une catastrophe.
Je suis incapable de m'en sortir tout seul. pouvez-vous venir travailler demain ? Bien-entendu, je vous dédommagerai largement !
- Mais enfin, bien sûr, monsieur ! Je serai là à 8h30.
 Alors qu'elle raccrochait, elle vit le regard désespéré de Stéphane qui ne s'imaginait pas passer un dimanche sans elle.
 elle bredouilla une vague excuse à son attention.
- Pour une fois, je ne pouvais pas dire non...Et puis, je serai payée en heures sup.
 Il ne répondit rien, éteignit la télé et alla se coucher. Il n'avait plus faim. Il n'avait plus envie de regarder son porno.
 Elle aurait pu aller le rejoindre. elle aurait pu lui expliquer que sa réaction était exagérablement puérile. Mais elle n'en fit rien. elle mangea seule sa pizza royale et, pour la première fois depuis sept ans, elle profita en égoïste du confortable canapé, en regardant un documentaire sur la Cinq, tout en savourant sa joie d'avoir, enfin, un imprévu dans sa vie.

 Le lendemain, elle arriva à l'usine en même temps que son patron. Ils travaillèrent d'arrache-pied toute la matinée, mais elle savait qu'il lui faudrait la journée entière pour remonter le dossier dans son intégralité. Son patron trépignait. Sa fébrilité était telle qu'au lieu de l'aider, il lui faisait perdre du temps. Sa nervosité la gagnait et elle était tellement concentrée que les muscles de son cou en devenaient douloureux.
- Et dire que c'est justement aujourd'hui que ma fille amène pour la première fois à la maison les parents de son fiancé ! Elle ne me le pardonnera jamais...
- Mais rentrez déjeuner chez vous, j'ai au moins trois heures de frappe pendant lesquelles vous ne pouvez rien faire. Revenez vers 4 heures pour relire.
- Vous êtes sûre ?
- Mais bien sûr, filez !
- Aimée, vous êtes une perle ! Qu'est-ce que je deviendrais, sans vous...
Le compliment la fit rougir d'aise.
Il allait partir quant il revint sur ses pas.
- Et vous, vous avez prévu quelque chose pour le déjeuner ?
- Non, je n'y ai pas pensé.
- Eh bien, commandez-vous des sushis. Vous avez le numéro. Et bien entendu, la facture est pour moi !
 Elle ne se fit pas dire deux fois. Elle allait enfin goûter ces fameuses recettes nipponnes. Ce dimanche lui paraissait décidément bien agréable.
 Elle travailla encore un long moment après son départ. Elle avait peur de ne pas pouvoir finir dans les temps. La pression était telle que tout son corps lui faisait mal.
 A midi, tiraillée par la faim, elle décrocha le téléphone pour commander exactement le même menu que celui qu'elle réservait habituellement à son patron.
 Elle raccrocha et recommença à frapper. Elle avait très mal dans le cou et les épaules. Elle se leva et fit deux ou trois mouvements d'assouplissement et d'étirement avant de se rasseoir devant l'écran.

 Cette petite pause lui fit grand bien et instinctivement, avant de recommencer à frapper, elle essaya de comprendre ce que son employeur avait bien pu fabriquer pour perdre le document original. Une rapide recherche dans le menu explorateur lui permit de se rendre compte que le dossier était tout simplement dans la corbeille de l'ordinateur et qu'elle n'avait qu'à le restaurer. Elle se mit à rire et décrocha le téléphone pour le prévenir. Mais elle se ravisa aussitôt. Elle n'avait pas envie de rentrer chez elle. Elle était très bien, seule,dans cette grande usine totalement déserte et silencieuse...Elle allait profiter de ce moment de solitude et de quiétude. Elle allait manger ses sushis et , après, elle aviserait.
 Elle mit un CD de musique relaxante dans le lecteur de l'ordinateur et poussa le son à son maximum. bien calée sur sa chaise, elle posa ses pieds sur le bureau, ferma les yeux et se laissa aller, tête renversée. Sa jupe remonta haut sur ses cuisses, bien au-dessus du liseré de ses bas top.
 Bercée par la musique, elle répétait "sushi" à haute voix. Elle trouvait ce mot érotique. Sushi...Elle ressentait au fond de son ventre une excitation qu'elle n'avait jamais connue.

 Elle n'entendit pas la camionnette du traiteur pénétrer dans la cour de l'usine. Elle n'entendit pas le livreur entrer dans son bureau.
 Elle était perdue dans ses pensées douces. Son cou la faisait souffrir et elle faisait des mouvements de balancier de droite à gauche pour essayer de faire passer la douleur.
 Eut-elle tout de suite conscience que le bien-être qui l'envahissait était le résultat d'un massage que deux mains inconnues étaient en train de lui prodiguer ?

 En tout cas, elle ne bougea pas. Des doigts experts lui massaient doucement les tempes, et cette imperceptible pression était divinement exquise. Elle sentait son corps s'alanguir mais, dans un sursaut, elle essaya de se redresser.
 Les mains glissèrent sur ses épaules et, toujours avec une extrême douceur, lui intimèrent de rester dans cette position.
- Qui est là ?
- Le livreur de sushi. Vous attendiez quelqu'un d'autre ?
 Son accent asiatique était léger mais indiscutablement audible. sa voix était jeune et sensuelle.
 Comme pour la rassurer, il vint poser la commande sur son bureau, et elle put voir son visage. Il était jeune, très beau et avait une infinie douceur dans le regard.
 Instinctivement, elle eut confiance en lui. instinctivement, elle eut envie de lui.
 Il la regardait intensément, de ses yeux noirs comme du jais.
- Vous êtes très belle.
- Merci.
- Si vous avez mal au cou, je peux vous masser pour vous soulager. Je travaille comme livreur pour payer mes études de kiné.
- Je vous remercie mais je ne voudrais pas abuser...
- Tout le plaisir sera pour moi.
 Il revint dans son dos et recommença à lui masser très doucement les vertèbres cervicales.
- Vous avez des doigts en or...
- J'étudie également la médecine orientale et les massages shiatsu.
- Connais pas.
- Laissez-moi vous faire découvrir.
- Je n'ai pas le temps ! Mon patron va revenir !
- Dans combien de temps ?
- Il sera de retour vers 3 heures.
- Alors, nous ne sommes pas pressés. Et il avait raison, il était à peine midi et demi.

 Ses doigts revinrent masser ses tempes, en d'imperceptibles mouvements circulaires. Ces pressions régulières et précises la détendirent au point d'avoir le sentiment que du champagne coulait dans ses veines. les yeux clos, elle s'en remettait aux mains expertes du jeune homme, qui lui apportaient un bien-être qu'elle ne soupçonnait pas. elle avait l'impression d'être libérée de son corps, de flotter. elle aurait voulu que ce massage ne s'arrête jamais, mais les doigts partirent à la découverte de son cuir chevelu. Il massa chaque centimètre carré de son crane. Les mains redescendirent dans son cou. Il s'interrompit pour déboutonner son corsage et faire glisser l'étoffe sur ses épaules. Il repoussa également les bretelles de son soutien-gorge qui retombèrent mollement le long de ses bras.
 Il lui massa alors les trapèzes. Ils étaient douloureux, mais il parvint à détendre chaque muscle, avec patience et douceur jusqu'à ce qu'elle ne ressente plus que du bien-être.
 Il attrapa ses jambes et les posa délicatement sur le sol avant de reculer le fauteuil et vint s'installer entre elle et le bureau.
 Il la libéra de son corsage et elle se retrouva face à lui, en soutien-gorge, le coeur battant.
- Vous n'avez pas peur ?
- Un peu...
- Vous voulez que je m'en aille ?...
- Non, surtout pas.
- Alors, laissez-vous faire.
 Il ouvrit la boîte de sushis et, à l'aide d'une paire de baguettes en bois blanc, saisit une pièce qu'il approcha très lentement de ses levres. Elle ouvrit la bouche et il la deposa délicatement sur sa langue. elle découvrit le goût de ces fameuses péparations japonnaises avec un sentiment d'extase.
 Avec la pointe des baguettes, il dessina sur son corps de vastes courbes en l'effleurant à peine, et le contact subtil du bois rêche la fit frissonner.
- Vous avez froid ?
- Oh! non! Au contraire!
 Avec des gestes d'une lenteur incroyable, il degagea ses seins de leur prison de satin et reprit la danse infernale des baguettes en jouant sur sa peau une symphonie de douceur.
 Ses mouvements étaient si fluides et si gracieux qu'elle le devinait à peine bouger. Il attrapait les pointes de ses seins entre les deux baguettes en exerçant de légères pressions, à peine perceptibles.
 Jamais elle n'avait été aussi excitée. Son ventre brûlait, et elle avait une envie folle de faire l'amour avec cet homme. Elle sentait son sexe s'innonder.
 Ses mains avancèrent, l'une vers la braguette de l'inconnu, l'autre vers son ventre à elle. Mais il arrêta son geste.
- Patience, ce n'est pas encore le moment. Ne soyez pas si pressée. Ne bâclez pas tout! Vous, les Occidentaux, vous voulez toujours tout, tout de suite et, en conséquence, vous n'appreciez pas les choses. Languir, répétez ce mot.
 Elle ne broncha pas. Il insista.
- Dites LANGUIR !
 Elle le murmura plutô qu'elle ne le dit et comprit en le prononçant qu'il y avait une réelle sensualité dans ces sept lettres.
Il reprit:
- Languir est un de mes mots préférés. En japonais, on dit dêng dài. Le secret du plaisir réside dans la capacité à savoir languir. Chaque seconde d'attente décuple la puissance de la jouissance à venir. Elle respira profondément et laissa ses bras retomber sur les accoudoirs de son fauteuil.

 Pendant encore un long moment, il parcourut son corps avec les baguettes puis il effleura sa peau du bout des doigts, par petites touches. elle avait l'épiderme en feu. Le contact était si léger qu'elle avait l'impression d'être caressée par des milliers de plumes.
 Les pointes de ses seins étaient dures comme des crayons, et sa gorge se soulevait à un rythme accéléré.
 Elle avait les yeux clos. Sans qu'elle s'en rende compte, et sans interrompre ses caresses, il ôta prestement sa combinaison de livreur, pour ne se retrouver qu'en caleçon. Quand elle rouvrit les yeux, elle découvrit un corps nerveux et sec, un torse imberbe, aux pectoraux très développés.
 Ses mains vinrent à la rencontre de cette peau inconnue et ses doigts commencèrent à pétrir la chair.
- Doucement! Ne me touchez pas. Frôlez-moi...
 Sa voix était d'une sensualité infinie.
- Découvrez mon corps par effleurement. Là, comme ça...Sentez comme c'est bon.
 Les doigts d'Aimée se firent velours pour repartir à la découverte de ces formes inconnues. La lenteur et la legereté de ses mouvements lui permirent de ressentir des ensations nouvelles. Elle sentait les muscles nerveux du jeune homme saillir sous sa peau ambrée."

Extrait de Onze nouvelles à lire seule...

mardi 19 juillet 2011

Bienvenue

Bonjour à tous et toutes,

Pour ceux et celles qui ne me connaissent pas, je suis Vanessa la maîtresse de Secretifull.
Secretifull est un concept résolument hédoniste où se mêlent dans un parfait raffinement JEUX, EROTISME ET VELOUPTES.
Découvrez le site www.secretifull.com et dite moi ce que vous en pensez à l'adresse suivante: vanessapointger@secretifull.com

Ayant reçue de nombreux courriers, j'ai décidé de vous répondre en créant 3 blogs distincts et différents:

- Dans celui-ci, je vous conterais des nouvelles érotiques que j'ai lues et appréciées afin que vous puissiez comme ce fut le cas pour moi, developper votre fantasmagorie.
- Dans le second - Vanessa et les sextoys - j'essaie de démystifier tout ce qui touche aux sextoys et de répondre à vos interrogations.
Vous trouverez également des réponses directement sur le site en complément dans la rubrique "Besoins d'aide", onglet "Des petites questions qui turlupinent".
- Enfin dans le troisième - Les suggestions coquines de Vanessa, j'évoque la séduction, l'art de séduire à travers des suggestions coquines dans le but de briser la routine quotidienne et relancer la communication, l'imagination à l'intérieur du couple.

Bien à vous

Vanessa POINTGER